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Une histoire du Juvénat


Le 20 avril 1992, au retour des vacances des premières vacances de cette année scolaire, onze garçons, tous lycéens à Nouméa, se sont installés au numéro 4 de la rue Surcouf, tout près de la cathédrale; ils devenaient les premiers pensionnaires du Juvénat qui venait de naître


Origine et mise en place du projet

             Cette naissance était l'aboutissement d'une année et demie de réflexion, de contacts, de réunions, de débats également, dans le but de créer un pensionnat destiné à des lycéens de la ville, principalement kanak, afin de les aider à réussir leurs études secondaires. A l'origine, les accords de Matignon-Oudinot dont une des dispositions prévoyait la formation de 400 cadres mélanésiens d'ici à 1998. Une « mission formation » avait été créée, avec à sa tête François Lebouteux, chargé de mission auprès du Haut Commissaire du Territoire.. Le recrutement de personnes, notamment de jeunes aptes à poursuivre des études de haut niveau s'est avéré difficile. A cette époque, la réussite des jeunes kanak, surtout ceux originaires de la brousse et des îles, et donc internes, était problématique. Dans une note datant de 1991, François Lebouteux fait une analyse de leurs difficultés en soulignant l'insuffisance de leur encadrement pédagogique au moment des études du soir et pendant le weekend. Il écrit notamment:
 
             « Il  est statistiquement prouvé qu'un élève de second cycle qui ne travaille pas régulièrement chaque weekend (sauf à bénéficier d'un  environnement culturel spécifique) va droit à l'échec au Bac. Or, les internes de nos lycées, pour la plupart, n'ont d'autre issue, pour le weekend , que  d'aller chez leurs  correspondants,  lesquels n'ont    pratiquement  jamais la place qu'il faudrait pour leur assurer un minimum de cadre studieux, et sont, au surplus, bien incapables de les  assister scolairement. »
 
            Aussi, émerge le projet de créer un foyer susceptible d'accueillir ces lycéens, afin de leur offrir - en semaine et durant le weekend- un cadre de vie et un accompagnement favorable à leur réussite. Plusieurs personnes, sensibilisées à ce problème et bénévoles, se réunissent et élaborent plusieurs scénarios. Parmi celles-ci, France Jewine (le futur trésorier de l'association) et Elie Poigoune, professeur de mathématiques au lycée Lapérouse, déjà engagé dans une aide bénévole auprès des lycéens. Au moment de la création de « l'Association Jules Garnier », il en deviendra le président et le restera pendant près de vingt ans.
 
            A la fin de l'année 1991, le projet s'est concrétisé  et aboutit à l'ouverture d'un foyer-internat au printemps 1992. Le premier acte eut lieu en novembre 91 avec la signature d'une convention avec l'Etat qui fixe la contribution financière de celui-ci à hauteur de 3 090 00 Francs CFP, somme confiée à « l'Association calédonienne pour l'animation et la formation ». Quelques semaines plus tard, le 28 décembre, s'est tenue une assemblée générale constitutive, créant « l'Association Jules Garnier pour un Juvénat lycéen », associa-tion à caractère socio-éducatif officialisée le 3 janvier 1992. Elle est dirigée par un bureau et son action est soutenue par un « comité de patronage », où siégeaient des personnalités et des responsables du monde économique, religieux, culturel, administratif, apportant un appui moral et un soutien financier au projet. Initialement, les objectifs du Juvénat étaient à la fois modestes et ambitieux. Modestes, par les effectifs concernés, entre 10 et 20 élèves. Ambitieux, par la volonté de constituer un internat d'excellence où les candidats seraient sélectionnés en fonction de leur niveau et orientés vers des filières scientifiques et techniques afin de fournir aux entreprises locales des techniciens et des cadres dont elles avaient besoin.

Une démarche élitiste? Il y eut débat..En amont, il y eut l'affirmation de ces deux valeurs, sans cesse rappelées, le TRAVAIL et le RESPECT.
 
            Au cours de ce premier trimestre 1992 précédant l'ouverture, bien des aspects matériels furent réglés. Un local fut enfin trouvé: il s'agissait de la maison de la rue Surcouf, louée aux Petites Soeurs des pauvres (pour 300 000 francs mensuels), et aménagée grâce à l'aide de bénévoles, en particulier le mouvement des Scouts Pionniers de Nouméa. Des financements furent réunis: outre la contribution de l'Etat, à hauteur de 30% du budget,   s'ajoutaient une participation des communes,  des familles et le sponsoring d'organismes publics et d'entreprises (plus de vingt). Ces derniers apportèrent leur aide sous la forme de prêts de matériel, de dons en nature et d'aides financières. Il s'agissait alors de « tickets-juvénat » permettant de financer un élève sur tout ou partie de l'année. Pour le premier exercice, cet apport couvrit plus de 50% des dépenses. Parmi les gros contributeurs, la CAFAT, la Shell Pacifique, la BCI, l'EEC et surtout la SLN. C'est d'ailleurs sur proposition de son directeur que fut adopté le nom de Jules Garnier, ingénieur et découvreur de la garniérite (le minerai de nickel calédonien),  devenu ainsi le « parrain » de l'association.
 
            Le 15 mars 1992 est arrivé de métropole, envoyé par le GREF (Groupe des Educateurs ans frontière), un couple de retraités, Madame et Monsieur Feutray, des bénévoles chargés d'encadrer les élèves. Ils furent les premiers répétiteurs et sûrement davantage. Le 25 mars se tint le premier jury de sélection: au final, onze élèves furent inscrits, répartis dans les quatre lycées de la ville (4 au lycée Lapérouse, 3 à Jules Garnier, 3 à DO Kamo, et 2 à Blaise Pascal). Deux étaient en terminale C, quatre en première S, cinq en seconde. Ainsi, le 20 avril, l'expérience pouvait-elle commencer.
  
 

Les années 1990, un pensionnat très encadré et familial


La maison où étaient hébergées les premières promotions du Juvénat est étroite et toute en hauteur. Elle avait accueilli par le passé les « filles de Marie » encadrées par les soeurs. C'est aujourd'hui un foyer pour les jeunes travailleurs. Sa vocation à loger des jeunes est donc une constante. Elle est construite sur quatre niveaux: au premier étage se trouvait le logement du couple de répétiteurs; au second des lieux de travail; et au troisième les chambres. La première année Monsieur Feutray tenait le rôle de responsable de la maison ( à partir de 1993, la fonction de directeur fut créée). Ancien professeur de français, il était également répétiteur.. Son épouse, infirmière à la retraite, faisait fonction de maîtresse de maison. L'encadrement était complété par un couple de V.A.T. (volontaires assistants techniques, missions temporaires qui se substituaient au service militaire) et de plusieurs intervenants locaux (au moins quatre) bénévoles.
 
                     
 

Le rez-de- chaussée: aujourd'hui cuisine et séjour
Le rez-de- chaussée: aujourd'hui cuisine et séjour
Un article paru dans « Les Nouvelles Calédoniennes » le 16 septembre 1992, soit quelques mois après l'ouverture, évoque ce qu'était alors la vie au Juvénat:
 
            « Une petite atmosphère monacale flotte toujours dans la maison. Surtout au niveau de la discipline. Tous les soirs, étude de cinq à sept, suivie du repas, et      séance-télé pour se tenir au courant de l'actualité, puis l'étude à nouveau jusqu'à neuf heures et demie. A dix heures on éteint les lumières. Samedi et dimanche matin c'est toujours l'étude (avec, on s'en doute, des devoirs supplé-
mentaires spécialement concoctés par les répétiteurs de la maison). Les après- midi du samedi et du dimanche, les élèves sont libres...enfin jusqu'à cinq heures, le moment où recommence l'étude. »
 
            A cette description, on peut ajouter le témoignage des responsables du lieu.
Jean Feutray: «  L'activité du Juvénat commence vers cinq heures au moment de la livraison du pain. Ensuite il faut préparer le petit déjeuner des élèves – et le sien!- (lait en poudre à délayer, café, milo, thé, beurre, confiture) et dresser la    table. Puis réveil des élèves selon le début de leurs cours (réveil à partir de six heures); il faut aussi s'occuper de la poubelle chaque jour. En cas de pluie importante ou une difficulté de déplacement d'un élève, on accompagne les élèves jusqu'à leurs lycées. Ensuite mise en ordre de la cuisine- rangement du matériel- propreté des tables- rangement des salles d'étude, vérification du dortoir et des salles de bains. Eventuellement (cette année lundi et jeudi) étude de sept heures trente à huit heures trente ou neuf heures. Généralement le reste de la matinée est libre (sauf événements particuliers). L'après-midi il faut  accueillir les élèves à l'arrivée au Juvénat (heures variables de onze heures quarante cinq le mercredi à 16 heures le mardi) goûter.. »
 
Et sa femme, Arlette de compléter: « La réalité a été faite d'adaptation quotidienne aux nécessités du moment: cela va du nettoyage de la cuisinière à   l'accompagnement des élèves chez le dentiste ou le médecin, de la surveillance     de leur état sanitaire à la distribution des médicaments, du lavage du linge  « oublié » aux vacances à la désinfection des locaux. Chaque jour visite complète des locaux, de leur propreté, fermeture des fenêtres en cas de pluie,  réparation et lavage des rideaux de douche...Commander les repas et s'il le   faut, demander au fournisseur des améliorations, guetter les promotions pour acheter  tout ce qui est nécessaire au meilleur prix, tenter d'éviter le gaspillage d'électricité , d'eau, de produits, entretenir plantes et fleurs... »
 
            Ajoutons que, pour le transport des élèves, le Juvénat a fait l'acquisition d'un minibus et les responsables de la maison se faisaient également chauffeurs pour acheminer les élèves à Jules Garnier et à Blaise Pascal, les autres se rendant à pied dans leur établissement.
 
            Ainsi fonctionna le Juvénat pendant ces premières années, soit la décennie 1990. Les effectifs ne crûrent que modérément atteignant 18 élèves en 1999. L'encadrement, lui aussi resta stable: en 1999, quatre permanents (dont trois répétiteurs métropolitains et un VAT) et quatre répétiteurs locaux eux aussi bénévoles. Selon les années, les résultats au baccalauréat furent variables mais, compte tenu du faible effectif des terminales (entre deux et quatre jusqu'en 1998), le taux de réussite (de 0 à 100%) ne sont pas significatifs.
 
            En 1998, Le Juvénat déménagea et s'installa pour quelques années à Nouville où il fut hébergé à l'ETFPA (centre d'apprentissage) qui loua salles de travail et chambres (y compris pour les répétiteurs). Située au bord de la mer dans un cadre verdoyant et paisible, cette nouvelle résidence était cependant bien isolée et coûteuse pour les finances du Juvénat.
A cette époque, les élèves pouvaient quitter leur pensionnat le weekend: ils se rendaient chez leurs correspondant respectifs le samedi à 11 heures pour être de retour le dimanche à 17 heures 30. Un régime que  les élèves actuels connaissent encore...En fait, ces modifications annonçaient des changements bien plus importants...
 

L'aile du foyer de Nouville occupée par le Juvénat entre 1998 et 2003.      	               Actuellement une résidence pour les étudiants
L'aile du foyer de Nouville occupée par le Juvénat entre 1998 et 2003. Actuellement une résidence pour les étudiants

Les années 2000, une institution qui se développe

Dans son état actuel, le foyer où se détendaient les élèves
Dans son état actuel, le foyer où se détendaient les élèves
 
            La première année du nouveau millénaire apporta une innovation majeure, la mixité. La création d'un Juvénat filles, distinct initialement du Juvénat garçons, était décidé fin 1999. Il possédait ses locaux, le premier étage du foyer de l'EFTPA (alors que les garçons occupaient le rez-de-chaussée), une directrice, enseignante retraitée, assistée d'un VAT et une prise en charge par «  l'Union des Femmes Citoyennes de Nouméa ». En 2000, le Juvénat comptait 14 garçons et 12 filles. Mais dés l'année suivante, les filles devenaient majoritaires (15 garçons et 17 filles) et leur proportion n'a cessé d'augmenter jusqu'en 2011 où elle culmina à 75% de l'effectif total; depuis 2012, un rééquilibrage a été opéré (32 garçons pour 37 filles en 2015).
 
            Parallèlement, les effectifs ont fortement augmenté passant de 26 élèves en 2000, à 49 en 2004, et à 69 en 2007. Il y eut manifestement une volonté  de faire bénéficier un plus grand nombre d'une expérience qui se révélait positive. Ceci nécessita des moyens -surtout financiers- plus importants et utilisés de façon optimale.; ce qu'apporta un nouveau déménagement. En 2004, Le Proviseur du lycée Lapérouse acceptait l'installation des élèves à l'internat de son établissement, permettant un accueil plus généreux, une simplification dans la prise en charge des pensionnaires et de substantielles économies. C'est de cette époque que date le fonctionnement actuel du Juvénat: un contrat lui assure 70 places à l'internat et la possibilité d'utiliser des salles de classe pour les études dirigées. La même année était créée une  « Association des Parents d'élèves » destinée à soutenir l'action des responsables.
 

Le lycée Lapérouse enfin. Avec son internat...
Le lycée Lapérouse enfin. Avec son internat...